Les élèves de 1ère HLP ont réécrit avec bonheur un portrait satirique et jubilatoire de La Bruyère mettant en scène un bavard intempestif qui parle sans avoir rien à dire, mais n’arrive pas à s’arrêter, enchaînant banalités et propos déplacés sans queue ni tête. Voici le texte original et quelques-unes des réécritures inspirées et fort plaisantes de nos chers élèves.

Le texte original de La Bruyère, tiré de ses « Caractères » :
« La sotte envie de discourir vient d’une habitude qu’on a contractée de parler beaucoup et sans réflexion. Un homme qui veut parler, se trouvant assis proche d’une personne qu’il n’a jamais vue et qu’il ne connaît point, entre d’abord en matière, l’entretient de sa femme et lui fait son éloge, lui conte son songe ; lui fait un long détail d’un repas où il s’est trouvé, sans oublier le moindre mets ni un seul service. Il s’échauffe ensuite dans la conversation, déclame contre le temps présent, et soutient que les hommes qui vivent présentement ne valent point leurs pères. De là il se jette sur ce qui se débite au marché, sur la cherté du blé, sur le grand nombre d’étrangers qui sont dans la ville ; il dit qu’au printemps, où commencent les Bacchanales, la mer devient navigable ; qu’un peu de pluie serait utile aux biens de la terre, et ferait espérer une bonne récolte ; qu’il cultivera son champ l’année prochaine, et qu’il le mettra en valeur ; que le siècle est dur, et qu’on a bien de la peine à vivre. Il apprend à cet inconnu que c’est Damippe qui a fait brûler la plus belle torche devant l’autel de Cérès à la fête des Mystères, il lui demande combien de colonnes soutiennent le théâtre de la musique, quel est le quantième du mois ; il lui dit qu’il a eu la veille une indigestion ; et si cet homme à qui il parle a la patience de l’écouter, il ne partira pas d’auprès de lui : il lui annoncera comme une chose nouvelle que les Mystères se célèbres dans le mois d’août, les Apaturies au mois d’octobre ; et à la campagne, dans le mois de décembre, les Bacchanales. Il n’y a avec de si grands causeurs qu’un parti à prendre, qui est de fuir, si l’on veut du moins éviter la fièvre ; car quel moyen de pouvoir tenir contre des gens qui ne savent pas discerner ni votre loisir ni le temps de vos affaires ? «

Et voici, à présent, les productions de nos élèves :
« La bêtise est la chose au monde la mieux partagée, surtout quand elle s’exprime par téléphone. Un ami qui croyait m’intéresser par le récit de ses dernières aventures m’arracha mes dernières illusions sur l’humanité. Le voilà dès le début qui déblatère sur la pluie et le beau temps pendant dix minutes. Il enchaîne immédiatement sur l’intérêt de ne pas se faire vacciner et la raison pour laquelle les gouvernements voudraient nous contrôler tels des pantins. Puis il profère des conseils sur la manière d’appliquer un après-shampoing, et affirme que mettre une quantité de plus de cinq millilitres était forcément une aberration !
Dans son élan, il se mit à juger toute personne usant du mot « chocolatine », et ensuite, poursuivit en déclarant qu’il avait lu dans une gazette dont j’ai oublié le nom que Leonardo Di Caprio se serait séparé pour la onzième fois. Il déversa ensuite ses connaissances sur la reproduction des gastéropodes par temps humides, et continua son monologue sur la mort prématurée de la Reine Elisabeth II. Ce qu’il ne savait pas, c’est que c’était précisément à cet instant que je lâchai le téléphone, laissant le bavard continuer sa conversation dans le vide : j’avais d’autres chats à fouetter ! »
Raphaël Nibishika-Guiraud

« L’empressement qu’elle avait d’expliquer sa vie à tout bout de champ, quelle histoire !
Une femme qui veut chanter, raconter, chuchoter sa vie amoureuse et personnelle, se trouvant assise près d’un homme, un vieillard qu’elle ne connaissait ni d’Adam ni d’Eve, aborde le sujet du succès de son mari chanteur dans une église catholique, lui fait des acclamations, et lui chantonne son nouveau texte musical ; lui fait un court détail de son derniers cours de zumba où elle s’était trouvée la semaine dernière. Elle annonce ensuite qu’Emmanuel Macron s’était marié avec une femme ayant le même âge que son interlocuteur. De là, elle plonge sur ce qui concerne la technologie, sur la cherté du nouvel i-phone, et sur le grand nombre d’appareils électro-ménagers qui envahissent les supermarchés. Elle dit qu’en hiver on trouve beaucoup d’habits en solde, lors des fêtes de fin d’année, et apprend à cet inconnu que c’est sous Napoléon que la France a connu d’importantes réformes qui ont contribué à forger l’identité du pays à la suite de la Révolution. Elle lui demanda où il s’était procuré son beau jean bleu, et quel est le nom de la femme de Nelson Mandela. Elle lui dit qu’elle s’est fait percer les oreilles avant-hier, et, si cet homme à qui elle parle a la patience de lui prêter son oreille, elle ne partira pas, elle lui rappellera au contraire ce qu’elle a fait ces derniers mois.
Il n’y a avec de si grandes pipelettes qu’une seule chose à faire, si l’on veut du moins échapper à une otite, c’est de prendre la clef des champs ! »
Evodie Kashala Kapalanga

« Le monde partant en vrille a donné l’inspiration à un homme de discourir dessus, mais il disait tellement n’importe quoi et mélangeait tout. Tout le monde parle de la Reine Elisabeth II, mais, lui, préfère évoquer la sortie de l’I-phone 14 ou celle de la petite sirène noire qui fait d’ailleurs polémique sur les réseaux en ce moment. Il enchaîne avec sa sentinelle qui extermine un serpent au beau milieu de la nuit pendant que sa sœur faisait des vidéos Tik Tok et que ses parents se trouvaient à une réception de mariage organisée par des personnes dont l’identité lui était inconnue. Il se rappelle ensuite d’une conversation qu’il avait eue avec un ami sur les guerres dans le monde, mais son ami s’était mis à parler de la victoire du Bayern face au FC Barcelone, félicitations à eux d’ailleurs, mais il se demande ensuite comment cette saison peut assécher les lèvres au point de les faire assécher, et, tant que j’y pense, il m’annonce qu’il a obtenu son permis de conduire. Il se mit après à parler de dérives délirantes à Dubaï, du confinement de la Covid-19 et de sa dépression. Et conclut en disant que la place de la femme c’est à la cuisine, aucun rapport, mais je finis par me retirer, tellement j’avais mal à la caboche. »
L’Or-Benitha Kikwaya Kasoki

« Une jeune dame assise sur une des tables du Kahwa, n’ayant rien à faire de sa journée, eut envie de parler à une personne qu’elle ne connaissait pas. Elle commence donc par dire qu’aujourd’hui il faisait très chaud à cause du soleil et qu’elle n’arrêtait pas de transpirer à tout-va, déclare qu’elle venait à peine d’avoir ses règles, et qu’elle était de mauvaise humeur car elle n’avait plus de serviettes chez elle. Elle expliqua d’ailleurs que la période de la Covid-19 avait été difficile pour elle, car elle devait être confinée et porter le masque et dramatisa en disant qu’elle n’arrivait plus à attirer aucun homme à cause du masque. Elle s’arrêta un peu pour respirer et continua en affirmant qu’elle ne supportait plus le lait à cause des indigestions que ça lui donnait, mais elle acheta quand même un milk-shake, car ils sont si bons et délicieux. Pour continuer, elle annonça que bientôt ce serait son anniversaire et qu’elle devrait réfléchir qui inviter, e demanda combien coûte un gâteau d’anniversaire à la Brioche, pour ses 25 ans. N’ayant pas fini, elle ajouta qu’elle pourrait faire une pool party vu qu’il fait chaud, et décida d’acheter une nouvelle paire de chaussures. »
Angelina Makela Leme